Mener grand train

 

Dimanche 6 juin. Paris. Fin de soirée.

Métro bondé, les portes se referment dans un chuintement. Je m’assois sur ma valise, un peu fatigué, tout juste conscient de ce qui se passe autour de moi. Station suivante. Descente de voyageurs et de nouveau la foule qui se fraye un passage. Un musicien se glisse dans le wagon, il peut à peine bouger, du coup c’est juste devant moi qu’il accorde son violon. Puis qu’il amorce une mélodie classique, sans que j’arrive à identifier s’il s’agit de Bach ou de Mozart. Seule certitude : c’est beau. Spectateur privilégié, je ne le quitte pas des yeux quand les parisiens qui m’entourent font au contraire tout pour l’ignorer. La lassitude de se voir sans cesse solliciter, sans doute. Pour ma part ce jour-là, j’ai béni ma candeur de provincial.
Quatre stations plus tard, j’étais le seul à applaudir au concerto. Les autres voyageurs m’observaient avec un rien d’inquiétude et de désapprobation. Mais je n’en avais cure. A quoi bon la vie s’il faut en proscrire l’enthousiasme ?
Le musicien a lâché un grand rire et s’est mis à saluer avec emphase. Alors je me suis levé tout en continuant à applaudir, de plus en plus fort, comme pour un rappel. Une standing ovation en catimini, mais qui a réveillé le wagon dans sa torpeur. Puis le chuintement de l’ouverture nous a ramené aux contingences du réel. J’ai saisi ma valise, fouillé dans mes poches. Mal à l’aise j’ai senti le billet de banque qui trainait là à défaut de la pièce attendue. Vague hésitation. Puis dans un sourire à la joie de l’instant, j’ai lâché mon aumône dans le chapeau, alors que les portes claquaient.

Un jour dans ma vie, pendant 6 minutes, j’ai eu droit un concert privé.
Un jour dans ma vie, je me suis offert le luxe du mécénat.
Un jour dans ma vie, j’ai couru vers un train en goutant la saveur de Paris.




 



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