L'autre camp
Arg,
elle m’a appelé « Monsieur » !
J’ai
distinctement senti ma peau se craqueler. Des rides sont apparues
sur mon visage, accompagnées de dizaines de petites
tâches de vieillesse. Mes cheveux ont blanchi d’un
coup, mon dos s’est vouté, et mes deux mains
se sont recroquevillées, dévorées d’arthrose.
J’aurais été un vampire, sans doute mon
épiderme se serait mis à fumer sous la brûlure
de la lumière du jour, et je me serais effondré
en hurlant.
Bon,
en vrai, il ne s’est rien passé, je suis juste
resté interdit, à la regarder. Cette jeune fille
magnifique, rayonnante dans sa robe printanière, qui
vient pour la première fois me poser une question.
«
Monsieur » ?
Elle
m’a appelé « Monsieur » ?
Autrefois
les étudiants me tutoyait d’emblée. Mais
autrefois j’avais vingt cinq ans.
Existe-t-il
d’autres moyens d’enterrer sa jeunesse, sinon
en confiant ses illusions au regard d’une jeune fille
qui, d’un mot, vient dire que le temps est passé,
qu’il faut savoir passer le témoin, et commencer
à gravir, marche après marche, l’ascension
qui conduit vers d’autres vies ?
Alors
si fossoyeuse il y a, d’aucuns diront que j’en
ai trouvé une bien jolie.