Fantaisie militaire

Je les voyais défiler dans leurs uniformes, et soudain l’univers des adultes prenait du sens. C’était comme un appel, quelque chose d’atavique, l’attirance de l’enfant pour les hommes musclés, pour la virilité guerrière, conquérante. Je niais tout réalisme, tout avis paternel, oui, ils me semblaient superbes. Etait-ce de les voir bondir sur leurs machines pétaradantes qui les rendaient à mes yeux si précieux ? Etait-ce cette facilité à les voir manier leur monstre mécanique dont le fonctionnement m’apparaissait si complexe ? Toute cette puissance dans les vérins hydrauliques, ce bruit de moteur si particulier, l’odeur du gasoil au démarrage, leurs bottes, leurs gants de cuir, le casque que certains arboraient, cette facilité à s’accrocher en pleine vitesse, vraiment, je me disais, quel autre corps de métier peut donc m’offrir de tels privilèges ? J’étais fait pour cette profession, je me voyais défiler en pleine rue, comme au quatorze juillet, je m’imaginais pilote d’engin, aux commandes de plusieurs tonnes d’acier. Oui, je voulais passer ma vie cramponné à la machine, libre, servir mon pays, ma nation, ma ville, mes parents, et cela, quoi qu’ils en disent, mes parents, car je la sentais bien leur réticence, mais je n’en avais que faire, j’avais mon but. Chaque matin à l’aube m’apparaissait la vision enthousiaste et tonitruante de mon destin.

Entre mes six et mes sept ans, jamais je n’ai manqué le passage du camion poubelle.