Coutances


En décembre 2011, j'ai eu la chance d'avoir un joli cadeau de fin d'année : ce projet de résidence avec la Médiathèque de Coutances. Au-delà de traditionnels ateliers d'écritures, et de rencontres avec le public, j'ai eu l'autorisation de parcourir les toits de la ville pour réaliser une petite expo liée à mon premier roman " l'arpenteur ". Un clin d'œil au toit de Rouen que j'avais bien des fois exploré. Dès les premiers jours je me suis promené dans les rues pour trouver les meilleurs accès. J'ai été accueilli par des gens généreux chez qui j'ai gravi des escaliers, ouvert des vasistas. Maisons anciennes, pavillons, immeubles, la vieille pierre de Coutances... Chaque fois cette chaleur dans le regard de ceux qui me laissaient pénétrer " chez eux "… Au retour, je montrais parfois mes photos, pour dire mon " chez moi. " Partage.

C'est très difficile de décrire l'émotion ressentie à certains moments. L'adrénaline était déjà là, lorsque je montais les étages, traversais les greniers. La première formalité, c'était d'évaluer la taille du vasistas, et vérifier que le sac à dos avec l'appareil photo passerait. Ensuite je me glissais par l'ouverture, évitais de regarder le vide. Chaque fois, commencer par monter jusqu'à la faitière. Puis très doucement, sortir le matériel, et se mettre au travail. Léger vertige. Et énorme sentiment de liberté. Y a-t-il seulement encore quelque part sur cette Terre un terrain de liberté, où il soit possible de vagabonder, sans que quiconque ne légifère ? Voir sans être vu. Bonheur. J'ai grimpé ça et là, avec prudence. En mars dernier, le temps était sec et sans vent. Les ardoises semblaient solides, les faîtières s'alignaient, régulières, ponctuées de cheminées massives et accueillantes, qui m'offraient des appuis presque trop aisés. Quelques nuages, la beauté du soir qui tombait, et au loin, une cathédrale à saluer. Sensation de connivence.

Je regarde ces photos. Je me souviens du passage éclair que j'avais fait là-bas en décembre 2010. Il y avait eu des chutes de neige exceptionnelles. Toits impraticables, mais lumière magnifique. Près d'une grande bâtisse nommée " les Unelles ", il y a un clan de corbeaux qui a élu domicile dans le bosquet d'arbres qui jouxte le parc. Régulièrement nous nous sommes examinés. En avril, les nids trônaient sur les plus hautes branches. J'ai de nombreuses fois essayé de les photographier, de saisir les familles. Mais le corbeau est un animal trop malin. Ma photo restera à jamais virtuelle. Sinon ces mots, pour dire l'insaisissable.

Sur le toit du cinéma, j'ai trouvé la signature d'un maitre qui m'a rempli d'émotion. Toute une histoire : le couvreur avait signé sur le zinc du solin en 1958… Hommage, j'ai pris une photo ! Et voilà que quelques jours après l'expo, je suis contacté par ses enfants qui me racontent leur père, décédé depuis. Sentir combien cette photo les touche. Mesurer combien le bon ouvrage d'un homme dit aussi toute la beauté de ce qu'il est. Le travail est une chose formidable, quand on laisse à ceux qui l'aiment le soin de bien le faire, et d'y donner du sens.

Je regarde ces photos, et un brin de nostalgie surgit. Oui, j'ai déjà envie d'autres horizons, de remonter là-haut. La poésie se cache parfois dans l'inattendu… La couleur d'un toit, l'ombre d'une cheminée, le reflet du soleil couchant sur le zinc d'une faitière… Et toi, où se coule ton regard ? Au fond, le problème est bel et bien de faire applaudir et chanter son âme chaque matin… Sais-tu que " là-haut " existe une terre d'aventure ?

" Les anges peuvent voler parce qu'ils se prennent à la légère " Chesterton.

 

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